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Paul Cupido, L'éternité est un instant

Photographie par Paul Cupido pour la résidence INSTANTS, Château Palmer & Leica, 2022

Arts

Paul Cupido, L'éternité est un instant

Arts

Paul Cupido, L'éternité est un instant

Il n’y a plus grand défi pour un photographe que d’archiver l’invisible.

Paul Cupido, L'éternité est un instant

Il n’y a plus grand défi pour un photographe que d’archiver l’invisible. Né en 1972 aux Pays-Bas, Paul Cupido s’y emploie avec délicatesse, traquant la beauté fugace et éternelle de la nature, capturant les reflets de la lune sur les pétales ou la peau.

Diamond Veins © Paul Cupido pour la résidence INSTANTS, Château Palmer et Leica, 2022

Ses images sensibles, mélancoliques, existentielles, déploient leur lumière de New York à Zurich, où il est régulièrement exposé — ou dans ses livres, comme Searching for Mu (2017) ou Éphémère (2019). Photographe intuitif et perfectionniste, passionné par le Japon, l’artiste était en 2022 en résidence de création à Château Palmer, avant une exposition à la nouvelle galerie Leica, rue Boissy d'Anglas à Paris, jusqu’à fin juin 2023 et une publication aux éditions Filigranes.

Intitulé Séléné, hommage à la déesse de la lune, ce travail propose une approche extra sensible du terroir, succession de cercles, de phosphorescences, de scintillements, à la fois herbier onirique et canopée de nuages qui semble brandir une échelle entre la beauté du sol et le mystère des forces cosmiques. Une invitation à s’élever, par le dépouillement et une persévérance à cerner l’ineffable.

Nuage © Paul Cupido pour la résidence INSTANTS, Château Palmer et Leica, 2022

CHÂTEAU PALMER : On peut imaginer que l’environnement est propice quand on travaille comme vous sur la nature, l’impermanence des choses, la beauté des saisons…  Comment avez-vous appréhendé cette première résidence artistique INSTANTS ?

PAUL CUPIDO : Château Palmer m'a d’abord donné la chance de visiter le domaine, de rencontrer les vignerons et d’apprécier sa situation géographique, le long des rives fertiles de la Garonne. De goûter, au sens propre comme au figuré, la philosophie et l'héritage du château : l’élaboration circulaire de ces vins magnifiques. J'ai été très impressionné par le domaine, les animaux, le sol, la culture, le dévouement. En tant que photographe, j’ai souhaité proposer une interprétation poétique de ces éléments, comme un compositeur qui traduit des sentiments en notes ou un vigneron qui interprète ce que la nature nous donne.
Sur place, j’ai écouté l’environnement avec attention, gardé mes sens en éveil. Je suis convaincu que l'œuvre s'impose d'elle-même. En tendant l’oreille à l’esprit du lieu, en apprenant ce que cette terre veut de moi, de mon travail.
Je dois admettre que je suis très naïf en matière de vinification. Nous, les Européens du nord, sommes secrètement jaloux de vous, les Français, car la poésie fait partie de votre ADN ! Nous aimons aussi votre joie de vivre ! Dans mon pays, nous sommes nombreux à être francophiles, à aimer le mode de vie français, les chansons, la Citroën Méhari, le pain, le fromage et le vin, le romantisme. Voilà, je voudrais insuffler un peu de cette joie de vivre dans mes photographies !

Hommage céleste © Paul Cupido pour la résidence INSTANTS, Château Palmer et Leica, 2022
Nuage 3 © Paul Cupido pour la résidence INSTANTS, Château Palmer et Leica, 2022

CHÂTEAU PALMER : Pouvez-vous définir le concept de Mu, si important dans votre travail ? Est-ce une célébration du minimalisme et des traditions zen ?

PAUL CUPIDO : Pendant ma formation à la Fotoacademie, à Amsterdam, j'ai fait un pèlerinage de Tokyo à Abashiri, sur l'île de Hokkaidō pour réfléchir à la vie, aux grandes questions. Je traversais une période difficile, des amis chers m'avaient quitté et je n'arrivais pas à m’y résoudre. Mais en marchant et en prenant des photos, je suis enfin parvenu à accepter que la vie avait une échéance, une fin, tout en sachant que celle-ci était circulaire, recommençait encore et toujours. Mu représente cet état zéro, un point de néant, au-delà du désir. L'art est un moyen de vivre le moment présent, qu’on soit spectateur ou créateur. Nous avons besoin de nourriture pour vivre, mais également de cette nourriture immatérielle et fondamentale. L'art permet de s'élever à une fréquence supérieure. 

« L'art est un moyen de vivre le moment présent, qu'on soit spectateur ou créateur. »
Paul Cupido — Photographe
Remembering You © Paul Cupido pour la résidence INSTANTS, Château Palmer et Leica, 2022

CHÂTEAU PALMER : Il paraît que vous êtes passionné par la lune... Pourquoi ?

PAUL CUPIDO : Rien n'est aussi existentiel que la lune. La lune contrôle le flux et le reflux, les marées. Lorsque je vois la lune, je me sens connecté à ceux que j'aime. C'est un symbole romantique de connexion et d'éternité. 

L'échelle à la lune © Paul Cupido pour la résidence INSTANTS, Château Palmer et Leica, 2022

CHÂTEAU PALMER : Vous aimez l'art japonais, vous utilisez du papier japonais pour vos impressions. Pourquoi cette culture — notamment les haïkus ou le wabi-sabi — vous inspire-t-elle autant ? 

PAUL CUPIDO : Ma première visite du Japon fut un choc. Je suis tombé amoureux de la dévotion des habitants, de l'esthétique, de la sophistication — tout ce qui est si magnifiquement décrit dans l'essai Éloge de l'ombre, de l’écrivain Junichiro Tanizaki. Roland Barthes explique que le haïku est la meilleure forme d'interprétation du présent : « L'art de réduire le plaisir infini de l'émotion à son essence » selon Kikou Yamata.
Vous connaissez l'histoire du jeune poète qui écrit des vers interminables pour exprimer quelque chose de très simple ? En face, le vieux maître en poésie est capable d'exprimer quelque chose de très complexe, comme le sens de la vie, en trois simples coups de pinceau d'un haïku. Bien sûr, je ne veux pas me comparer à un maître, mais je crois que la simplicité est la sophistication ultime. 
Le wabi-sabi, c'est être présent dans le sentiment mélancolique, là où la beauté et la fugacité de la vie se rejoignent. Nous percevons plus intensément les choses qui changent, qui sont dynamiques.
Les structures organiques sont la véritable expression du changement continu.

Mirages 10 © Paul Cupido pour la résidence INSTANTS, Château Palmer et Leica, 2022

CHÂTEAU PALMER : Alors que la culture est de plus en plus dématérialisée, vous soignez au contraire vos tirages, concevez vos livres comme des objets d’art, avec un soin scrupuleux de la mise en page, du papier, de la reliure. Est-ce là encore une manière de batailler contre l’éphémère, contre la disparition ? 

PAUL CUPIDO : Il y a des parallèles à établir avec la vinification, comme à Château Palmer. On s’investit avec un dévouement absolu, en hissant sans cesse le travail vers le haut, tout en restant perméable au mystère, à ce que vous ne pouvez pas contrôler. Mon travail procède en deux étapes. La première est la collecte, un processus entièrement intuitif, dans lequel l'expérience émotionnelle est la clé et la technique reste mineure ou très faible. Lorsque je photographie, par exemple, je ne prête pas beaucoup d'attention à la netteté. Et puis, je me consacre entièrement au travail, à l'édition et à l'impression. Ce processus peut prendre beaucoup de temps, tout comme le vieillissement du vin. Il est impossible de prédire ce qui en sortira, mais je traite cette deuxième partie avec le plus grand soin. Sachant que la vraie beauté réside dans l'imperfection. Les petites erreurs, les marges ou les imprévus.

Lune © Paul Cupido pour la résidence INSTANTS, Château Palmer et Leica, 2022