2013 aurait pu être une année catastrophique. Sur le plan climatique, nous n’avions pas connu de millésime aussi difficile depuis 1992, avec un printemps humide et froid puis des coulures sur certains vieux merlots. Cette épreuve nous a au contraire permis d’affiner notre savoir-faire, de pousser plus loin nos intuitions à l’assemblage.La précision de notre viticulture a permis de produire à l’arrivée un vin soyeux, particulièrement délicat, dont nous sommes aujourd’hui très fiers.
« Les millésimes compliqués sont les plus intéressants pour comprendre l’âme d’une propriété : ils révèlent le terroir, son incroyable résilience. »
Thomas Duroux — directeur de Château Palmer
Il ne faut jamais « gâcher une crise », affirmait le philosophe Bruno Latour.C’est ainsi que le millésime 2013, avec sa météo épouvantable et ses merlots assiégés par le botrytis, apparaît aujourd’hui comme une étape vertueuse, presque un tremplin :la confirmation qu’il est alors grand temps de convertir la totalité des parcelles en biodynamie, de pallier le déficit de soleil par un soin renouvelé de la terre et un assemblage millimétré au chai. Une année aussi humide, aussi fraîche, où le printemps joue à se faire porter pâle, ne supporte aucune approximation et révèle au contraire la valeur combinée d’un terroir et d’une technique.
Dans les vignes, 2013 salue l’irruption des vaches Ivresse et Iamine tandis que les premières brebis du domaine pâturent quelques mètres plus loin. Les animaux s’installent et la chimie s’en va ; les vignerons pulvérisent des antifongiques pour la dernière fois de l’histoire de Château Palmer.Au chai, on profite de la précision du tri optique, inauguré l’année précédente, pour sélectionner les baies les plus prometteuses et ne conserver à l’assemblage que « la crème de la crème du terroir », dira Thomas Duroux. Les débats sont vifs au milieu des cuves, on hisse le jus avec une méticulosité de chaque instant. Soin du geste, finesse du résultat.
Avec dix ans de recul, Château Palmer 2013 s’honore d’une délicatesse singulière, d’un toucher de bouche subtil et limpide, d’un charme précieux.
La vigne est restée très végétative, menacée à la fois par le mildiou et le botrytis. Les raisins étaient à peine assez mûrs mais les parcelles évoluaient vite et demandaient une vigilance absolue. Le dernier week-end de septembre, nous avons réquisitionné toutes les équipes, y compris celles du bureau, pour vendanger une vingtaine d’hectares en deux jours ! Curieusement, cet épisode ne nous a pas laissé un mauvais souvenir, il nous a même permis de prendre confiance en nous.
« Nous avons eu la sensation d’avoir été privés de lumière, de chaleur.De connaître un millésime sans été. »
Sabrina Pernet — directrice technique de Château Palmer
Jamais les vignerons n’ont connu un hiver aussi humide. Et le printemps s’acharne à poursuivre la morte saison au lieu de déployer ses rayons et de parader comme un paon à l’heure du bal. Le soleil se cache et la pluie ravine les sols. La croissance de la vigne s’en ressent. Comme en 2012, la météo d’avril à juin entraîne un débourrement tardif et fastidieux, sous la pression constante du mildiou. Les équipes guettent l’horizon et croisent les doigts.
Hélas, pas de miracle mais la pluie qui au contraire récidive et s’obstine : en Gironde, le mois de juin 2013 demeure — avec 1992 — le plus pluvieux depuis cinquante ans. Les températures dramatiquement fraîches gâtent la floraison et provoquent des coulures sur les vieux merlots. La brève embellie de juillet redonne espoir, que douche une série d’orages la première semaine d’août. La véraison des cabernets et des merlots accuse quinze jours de retard. Du côté des vignerons, on chausse les bottes et on serre les dents.
Les conditions estivales ont privé les raisins d’une pleine maturation et voilà que septembre redouble de pluie, avec des températures élevées qui favorisent le développement du botrytis et dégradent la pellicule des baies les plus sensibles. En quelques heures, le rouge peut virer au gris : il faudra vendanger montre en main, à la hâte, dès le 27 septembre pour les merlots. Fin de la récolte le 11 octobre. L’avenir du millésime repose désormais sur la précision du geste œnologique et la magie de l’assemblage.
Nous savions que les raisins manquaient de puissance et de concentration phénolique mais nous avons eu une bonne surprise sur le plan aromatique. Nous avons beaucoup débattu de l’assemblage pour trouver le juste équilibre entre une acidité un peu marquée et des tanins finalement moins rustiques que nous ne le redoutions. Nous avons travaillé de manière très délicate, très douce, en nous adaptant à toutes les cuves, aux différentes identités des parcelles.
« Nous avons été incroyablement restrictifs sur le choix des raisins, en ne conservant que le cœur de Château Palmer. »
Thomas Duroux — directeur de Château Palmer
Seul un tiers de la récolte est conservé à l’assemblage, lequel suscite force dégustations et débats dans l’équipe. On goûte, on doute, puis l’on se résout à trancher.Le cabernet sauvignon prédomine : 51% contre 49% pour le merlot. Le petit verdot n’est pas de la partie. Le marc est manipulé avec la plus grande attention pour éviter l’extraction de tanins potentiellement rustiques. Tout est pesé au trébuchet, avec un summum de douceur et de minutie pour préserver le beau velouté du jus. Un millésime soyeux et coloré commence à se dessiner.
2013 est un millésime de rédemption, un bien joli fruit sauvé de la pluie qui n’a pas à rougir lorsqu’on le déguste dix ans après la récolte. Ce n’est pas un vin d’opulence mais un millésime de dentelle, dont le nez et la longueur se sont étoffés avec l’âge. La légèreté redoutée s’est muée en délicatesse appréciée. Les tanins sont souples, une touche d’acidité participe au plaisir.
Château Palmer 2013 ne cède pas à l’esbroufe : il résiste aux assauts du temps et promet de déployer tout au long de la prochaine décennie sa tranquille douceur d’esthète.
« Château Palmer 2013 tient son rang et est promis a un bel avenir. On retrouve en lui tout ce qui fonde la beauté des vins de Palmer, ce grain et ce toucher de bouche si particuliers. »
Thomas Duroux — directeur de Château Palmer
Photographie par Chloé Milos Azzopardi